Je suis resté à distance du Guépard, et ce sentiment-là, ce retrait, cette désaffection qui ne s'explique pas tout à fait, pourrait bien être la réponse la plus juste au film. En d'autres mots, un malentendu, une défaillance de regard.
Le Guépard n’est pas un film d’Histoire. Ou plutôt, c’est un film de l’après-Histoire. Ce qui s’y joue, c’est moins le récit d’un déclin que la perception même de ce déclin, cette fatigue noble, cette lucidité mélancolique qui transforme chaque image, chaque parole en épitaphe.
Visconti ne filme pas le monde, il filme la lenteur d’un monde qui s’éteint. Il filme la suspension. Et il faut accepter de n’être que témoin, sans prise, sans chaleur. Car tout est déjà décidé. Tout est déjà é. On ne regarde pas l’histoire s’écrire, on la regarde se dissoudre. Lentement. Royalement.
Et c’est précisément là que le film m’attendait. Mais il n’a rien d’accueillant. Il n’offre pas de personnage à aimer, pas de conflit à résoudre, pas d’arc narratif à suivre. Seulement un homme, Burt Lancaster, qui comprend, sans colère, sans panique, que son monde n’est plus le monde.
Il y a, dans la mise en scène, une forme de deuil qui ne dit pas son nom. Les plans sont des tableaux, pas des peintures vivantes, mais déjà mortes, déjà vernies, déjà accrochées à la mémoire. On y sent l’influence de David, d’Ingres, de Delacroix, mais ce n’est pas une peinture de fête : c’est une peinture de fin. Rien ne respire vraiment.
Et puis, il y a ce bal. Ce bal interminable. Une heure presque, à tourner, parler pour ne rien dire. Il est un point de bascule, un effondrement en douceur. Tout ce qui précède trouve là sa vérité secrète : la beauté comme survivance, comme geste creux. On sourit pour que les autres n’entendent pas la fin.
Et moi, spectateur, je deviens ce prince qui traverse les salles sans vraiment y être. Je suis au centre du cadre, et déjà ailleurs. Visconti ne veut pas me plaire. Il veut que je comprennes ce que c’est, d’être là sans être là. D’assister à son propre effacement.