Ted Lasso
7.6
Ted Lasso

Série Apple TV+ (2020)

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Les sitcoms sont tragiques, et c'est bien leur problème.

Bien que consommant assez peu de séries l'un dans l'autre, je suis souvent fasciné par ce pouvoir d'attraction et d'engagement incroyable que semblent dégager régulièrement les productions typées sitcom - et bien que l'étiquette générique fasse souvent débat, je n'ai personnellement aucun remord à foutre la série dont il ne sera pas vraiment question ici.


Je pars de Ted Lasso ici qui est la dernière que j'ai eu l'occasion de regarder mais ce bref commentaire pourrait s'appliquer à à peu près n'importe quel produit télévisuel qu'on a voulu étiqueter « bonne humeur » depuis le succès génésiaque de Friends dans les années 90.


Il est remarquable de constater que, malgré leur formule extrêmement stéréotypée, les séries comiques douces-amères arrivent encore à emporter la même adhésion du public après tant d'années à les avoir vues illustrées par des caractérisations peu variantes. Dans Ted Lasso, on a envie de rire et de pleurer lorsque des personnages présentant des défauts sérieux et structurants (égoïsme, rancœur, jalousie, narcissisme, déviances diverses) arrivent à les mettre de côté au profit de la création d'un esprit de cohésion qui, par ricochet, donnera l'impression au spectateur (terriblement esseulé devant son poste) qu'il appartient lui aussi à une tribu en train de se constituer. D'où d'ailleurs la paradoxale douleur mélancolique que ressentent beaucoup de spectateurs à la conclusion d'une série pourtant censée être comique : la fin du spectacle conditionne un retour à l'individualité solitaire qui peut être d'une violence très difficile à digérer.


Si tout cela fonctionne toujours et de manière parfois aussi ionnelle, c'est que ces séries réactivent, bien plus qu'une tradition de la comédie comme représentation sociale critique, les ressorts moins bien connus de la tragédie qui finit bien. On a souvent tendance à voir en préjugé dans le tragique l'idée assez négative d'un théâtre de mort où tout le monde finit broyé à la fin en condamnation de divers défauts qui peuvent habiter les personnages-reflets et qui sont censés, par l'horreur de leur punition, nous pousser à nous amender nous-mêmes en tant que consommateurs de la représentation. La tragédie ne réclame en réalité qu'une seule chose : que des forces incontrôlables par ceux qui agissent les déent et qu'elles les remettent dans un sillon qui garantira une forme de restauration de l'ordre, et les exemples de tragédies qui finissent bien ne manquent pas tant dans le canon classique que dans le canon antique ; citons pour l'exemple deux précédents connus que constituent Iphigénie, dont le sacrifice final est toujours contourné par une substitution, chez Euripide comme chez Racine, ou la version donnée du destin de Cinna par Corneille qui sert à mettre en valeur par une fin positive la bonhomie clémente du pouvoir absolu.


La sitcom relève indéniablement de cette (esth)étique. Le ton peut ne pas se faire léger. On voit des personnages trompés, on voit des personnages souffrants, on voit des personnages aux cœurs meurtris par la conscience que celles et ceux qu'ils aiment ne désirent pas de leur compagnie immédiate ou que leurs objectifs demeureront, par un coup de la fortune ou de la malveillance de quelques vrais méchants bien commodes, insatisfaits ; mais cette période est toujours transitoire pour une restauration de l'ordre où, si l'on ne parvient pas forcément à une édénique conclusion à la fin, quelque chose aura réussi hors du contrôle immédiat des personnages à transcender leurs faiblesses et leurs incapacités provisoires pour les mener vers un bon port réconfortant. Dans Ted Lasso, ce sera typiquement des improbables retournements du destin sportif fidèles à une vision extrêmement fantasmatique et romantisée du sport où un besoin compensatoire de justice, immanente et transcendante, viendra effacer par magie toute la saloperie qu'est en réalité cette industrie particulièrement attractive et répugnante – c'est l'avis d'un fan de foot.


C'est en cela que la sitcom crée un plaisir extrême qui est des plus dangereux. La sitcom est tragique, mais son tragique est solaire et les dieux réparateurs que nous vendent les prêtres de la sitcom sont ceux des pires douilles du libéralisme : caractère holistique de la somme des individus qui se transcendent, méritocratie, dilution totale de la morale chrétienne occidentale dans une sorte de générosité abstraite correspondant au tartuffesque idéal américain de la philanthropie, et globalement toute la soupe bien aigre de la vie considérée comme un long parcours de développement personnel.


La sitcom nous fait tant de bien quand elle nous aliène à penser toute cette merde.


Mais j'ai eu la même faiblesse que tous ceux qui ont aimé cette série (et bien d'autres) en ayant envie de croire à cette transcendance rétributive. Comme pour tous les pièges de cœur, qui sont sans doute inévitables jusqu'à un certain point au risque d'en perdre toute sentimentalité, acceptons de les avaler en sachant recracher ce qui coince.


C'est une posture un peu tiède mais ma foi il faudra bien s'en contenter.

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il y a 3 jours

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S_Gauthier

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