On a souvent envie de prendre les Entretiens de Fontenelle comme un simple artefact entre deux temps (celui du Virgile des Géorgiques et celui de la vulga' d'aujourd'hui) de ce qu'ont été toutes ces tentatives d'enrober l'aridité du savoir dans quelque chose de mieux digérable. Et le livre se présente effectivement de fait comme une suite de discussions dont le propos sera de présenter à un public non averti les découvertes, contemporaines et moins contemporaines, en ce qui concerne la nature et les mouvements des corps cosmiques.
Mais choisissant, pour faire adopter ses vues, de er par les atours d'une suite de discussions badines sous les étoiles entre une femme curieuse et désirable et un initiateur tout disposé à la découvrir, Fontenelle trouble la communication qui s'établit au sein de l’œuvre et amène le lecteur à douter parfois de l'enjeu précis de la rhétorique qui se met en scène à travers ces visites nocturnes. Il y a quelque part en-dessous de toutes ces réflexions sur les révolutions un beau roman d'amour, désiré et avorté, écrit dans le blanc des lignes de tout ce qui ne se dit pas, empreint d'une sorte de rousseauisme qui aurait point trop tôt.
On ne sait plus si la libido est sciendi ou libido tout court, et cette ligne de tension crée une saveur spécifique à la lecture à laquelle je ne suis pas resté du tout insensible. Le désir de l'autre et le désir de savoir se confondent fréquemment dans une manière de se saisir du monde qui va agiter toujours des sentiments plutôt fluctuants : on pourra éprouver de la peur face à l'inconnu(e), de la résistance indignée à l'idée de devoir confronter ses modèles de projection à l'altérité, beaucoup d'excitation lorsque le potentiel caché d'un soupirail soudain levé sur l'infini commence à se faire manifeste. L'intervention dans l'apparente superfétatoire sixième soirée de deux importuns, causeurs mondains et pas raisonneurs, séduisants frivoles mais ennemis en cela du type de désirabilité que l'érudit a à vendre à cette femme vers laquelle il ne peut cesser de tendre, a quelque chose de l'aveu de l'auteur à cet égard.
Fontenelle construit un système discursif qui semble vouloir nous faire comprendre, empathiquement, qu'il y a un prolongement voire une identité d'existence entre le désir de se plonger dans la blondeur d'un partenaire séduisant et dans la compréhension du même éclat d'or lorsqu'il est porté par la réverbération de la lumière au sein de notre atmosphère. C'est une façon presque pansexuelle de s'emparer de la jouissance du monde et de tout ce qu'il peut comporter en l'organisant qui me séduit beaucoup.
Insoupçonné roman du désir que forment en creux les Entretiens, dont j'ai pu débattre dans un geste trop méta' pour être honnête avec une jeune personne tout à fait accorte, expliquant peut-être un attachement triste au fond pour cette proposition. Car de la même manière qu'un jour le cours du narrateur s'interrompra, avant la septième et sacrée journée du repos, de même son pouvoir d'attraction sur la marquise sera dès lors inopérant. Et cette petite mort vers laquelle tend finalement ce « je » qui nous guide file un peu plus la parenté structurelle que peut avoir l’œuvre de Fontenelle avec les Mille et une nuits.
Le désir de la science ressemble à l'amour ; ils s'éteignent du même geste.