Potentiel fou
Clair Obsur avait le potentiel pour être un très très grand jeu. L'introduction est l'une des meilleures intro du genre RPG, on est tout de suite conquis par cette quête pour sauver le futur de...
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le 27 avr. 2025
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Sinon, comme titre, j'avais aussi : "c'est ce qui s'appelle fendre le ciel", "l'ombre tapie sous le monolithe", "la déraison du succès", "derrière les craquelures du vernis" et "ces coeurs qui (pig)mentent"...
[Niveau de spoil élevé]
Oui oui, Expedition 33 c'est génial blablabli, oui oui c'est le renouveau du J-RPG blablabla, sauf que c'est français camembert baguette t'as vu, oui, oui, GOTY 2025, c'est bon, ça va, calme-toi garçon, on a compris, je ne vais pas en rajouter une couche, ça ferait doublon, triplon, quadruplon, et tous les autres mots en plon (à part essencesanplon, mais ce n'est pas un vrai mot alors il y a prescription) jusqu'à dix mille et plus. Y'a un moment, c'est bien beau tout cet amour mais à force de lire toujours les mêmes choses rédigées de la même façon, on a envie de faire comme Gustave au campement : changer de disque. Non et puis vous avez pensé aux chevilles des développeurs, un peu ? Je sais bien que c'est un boulot dans lequel on n'a pas nécessairement besoin de la partie basse de son anatomie, mais ce n'est pas une excuse. Un peu de comion, que diantre.
Et donc voilà, évacuons-le vite fait, en mode tsundere : Expedition 33 est un excellent jeu, Expedition 33 est une excellente surprise, Expedition 33 éblouit à tous les niveaux, Expedition 33 est un petit tour de force, Expedition 33 met Final Fantasy XVI à l'amende, Expedition 33 donne la fessée à Final Fantasy Rebirth sur la place publique, j'ai vraiment beaucoup aimé la proposition, c'est un petit coup de cœur et ça m'emmerde un peu, à vrai dire, parce que j'aurais voulu lui coller 5 pour donner de la visibilité à cette critique et me la jouer subversif, sauf que non, même avec la pire des mauvaises foi au monde (j'ai essayé), pas possible de descendre en dessous de 8, ce serait malhonnête. Tant pis, je serais noyé dans la masse. Expedition 33 no b-b-b-b-baka !
Pour vous dire, quand bien même a-t-il toutes les qualités d'un jeu indé, à mes yeux, Expedition 33 est un AAA, qui aurait dû être vendu le prix d'un AAA – ce qui constitue déjà un premier problème en soi.
Le voir se brader timidement à 40 balles dès sa sortie m'a fait le même effet que ces artistes nippons venus à la Japan Expo sur leurs propres deniers et qui n'ont pas les codes, comme les compositrices de Megaman et de Panzer Dragoon qui vendaient leurs CDs dédicacés dix balles et qui étaient plus émues d'être prises en photos avec leurs fans que le contraire. Il a fallu que lesdits fans eux-mêmes finissent par leur expliquer que leur humilité était certes tout à fait louable, mais qu’elle faisait er le mauvais message, pour qu'elles acceptent de monter (un peu, si peu) leurs tarifs sur les derniers jours de la manifestation. Ou comme le PDG de Cyberconnect qui tient le stand de vente de goodies lui-même entre deux séances de dédicaces, et qui en profite pour signer tous les bouquins sans même qu’on lui demande.
A quoi s’ajoute cette édition Lumière limitée, paradoxalement disponible dans d'autres pays d'Europe mais pas chez nous, penses-tu, on n'est jamais que le pays d'origine du studio, holala, qui ça intéresse encore ce genre de détails, les frontières c’est surfait, sauf quand il s’agit d’encaisser les frais de douane... Sans parler du gros collector (exclusif aux Etats-Unis, si j'ai bien compris, et fugitivement dispo chez nous aujourd’hui sur le site de Pix’n Love), qui fait désormais le bonheur des professionnels de la spéculation (en même temps, il faut bien qu'ils mangent, les pauvres. Mille balles de marge sur le collector, plus de trois cent sur l’édition Lumière, faut les comprendre, aussi, c’est à peine de quoi vivre, à Ibiza....). Tout ça pour dire que de mémoire de gamer, on a rarement vu un lancement de jeu si désastreux, et je pense qu'il y a quelques commerciaux ici et là, notamment chez Bandai Namco, qui n'ont plus de doigts sur les mains à force de se faire taper dessus.
Voilà, ça c'était pour les gentillesses.
Maintenant on va pouvoir commencer à taper, nous aussi.
Parce qu'autant je veux bien reconnaître les indubitables qualités du titre, la fraîcheur de la proposition, sa générosité, sa ion, son insolence toute française (dans le bon sens du terme - on ne savait même pas qu'il en avait un !), autant ce ne sera sans doute pas mon GOTY, ni un de mes RPG favoris, ni une des expériences vidéoludiques qui auront le plus marqué mon parcours, ni, ni, ni (SHRUBERRY !) (les vrais savent).
Et je m'en vais expliquer instamment pourquoi aux trois que ça intéresse, et aux gens en nombre un peu plus nombreux qui sont là pour me dire que je n'ai rien compris et qu’il faut que je ferme ma gueule.
Alors déjà, point numéro 1 : il va vraiment falloir arrêter avec les « enfin, on modernise le tour-par-tour ! » parce que oh, les gars, ça va bien, ça fait au moins depuis les années 90 qu'on le modernise, le tour-par-tour, on n'a pas attendu Expedition 33 pour s'y mettre, faut atterrir un peu. Je ne suis pas un spécialiste du RPG, loin s’en faut, mais enfin, j'en ai terminé un paquet dans ma prime jeunesse, avant que les scénars ne se mettent (inévitablement) à tourner en boucle et que j'aie l'impression d'en avoir fait le tour (par tour, lol. C'est fou ce que c'est drôle, l'humour, quand même, si c'est bien fait !). Assez pour savoir que le genre a évolué en permanence, comme n'importe quel autre (plateformes, combat, shoot, etc…), voire de manière plus inventive et radicale (et parfois même plus efficace que dans Expedition 33. Si. Arrêtez un peu de froncer les sourcils, vous n’êtes pas objectifs, vous êtes amoureux). Quand je lis les gens se pâmer sans retenue, je me demande très sincèrement s'ils ont joué à tant de RPG que ça, parce qu'on croirait vraiment qu'ils sont restés bloqués à l'époque des Bard's Tale sur PC ou des premiers Dragon Quest (lesquels avaient leur charme, qui plus est). Rendre le procédé moins if, ça fait des décennies que les programmeurs y travaillent, tout en composant avec les limites techniques que l'époque leur impose.
Parce que je n’ai que ça à faire, j'ai donc prévu une « petite » liste, nécessairement non exhaustive du fait de mes lacunes culturelles :
- A tout seigneur tout honneur, commençons avec l'Active Time Battle de Chrono Trigger et des Final Fantasy IV à IX. Et alors attention, j'ai bien dit l'ATB, hein. Pas le mode semi-active pour les fragiles, là, celui paramétré par défaut, et dont les vétérans savent qu'il faut le désactiver sitôt le jeu lancé. En substance, pour ceux qui auraient grandi sur une autre planète : chaque personnage et monstre possède sa propre jauge d'action, qui se remplit en permanence à une vitesse dépendant de son score d’initiative, et se vide à chaque action effectuée. Or si en mode semi-active, le remplissage des jauges se fige lorsque vous sélectionnez vos actions, sorts et objets à utiliser, en mode active, autant dire qu’il se fout pas mal de vos dilemmes existentiels et que plus vous perdrez du temps dans vos menus, plus vous aurez de chances de finir dans l’assiette de votre adversaire. Un principe sans fioritures, mais solide, en regard de quoi celui de Final Fantasy X constituait un retour en arrière, en cela qu’il revenait à des mécaniques plus convenues (même si tout aussi efficaces), plus proches du tour-par-tour originel.
- Dans The Legend of Dragoon, les personnages ont la possibilité de frapper plusieurs fois d'affilée s'ils réussissent le QTE associé à l’arme utilisée, selon un timing autrement plus exigeant que dans Expedition 33, et dont les enjeux s'avèrent d'autant plus élevés (car dans the Legend of Dragoon, si on loupe son QTE, le combo s'achève instantanément, et dans un jeu où les personnages tapent aussi fort que des Princesses Disney, ça fait une sacrée différence).
- Dans Xenogears, on alterne entre deux types d'affrontements différents : à l'aide de combinaisons à la Street Fighter, au sol, comme pour Mash René Figaro dans Final Fantasy VI (rater son Hadoken, c'est rater son attaque, comme à l’Evo), et de façon plus guindée dans les robots géants, à une subtilité près : à chaque coup porté correspond un coût en carburant, les plus puissants étant nécessairement les plus gourmands. Les réservoirs n'étant pas extensibles, et le carburant facturé au tarif 2025 (Xenogears, un jeu visionnaire ?), il fallait donc choisir... judicieusement.
- Dans Chrono Cross, le joueur peut choisir entre trois types d'attaques : faible, moyenne et forte, qui consomment plus ou moins de points d'action selon leur effet et modifient l’ordre des priorités. A quoi s'ajoute un ingénieux système d'affinités élémentaires, communes aux personnages comme à leurs ennemis (seul moyen de battre le dernier boss et de voir la vraie fin, au age, avec une mélodie à reconstituer dans le bon ordre en fonction des types d’affinités utilisées. Palme d’or de l’originalité, mention arrachage de cheveux quand le boss vient foutre en l’air la chaîne musicale qu’on s’est efforcé de constituer).
- Dans le Bastard! de la PS1, on déplace les personnages sur un damier indépendant de celui des ennemis, et ce sont les formations qu’ils adoptent qui leur donneront accès ou non aux sorts qu’ils souhaitent utiliser (sachant que cela exposera nécessairement certains, là où cela réduira le champ d’action des autres) (car oui, j’ai acheté Bastard! sur PS1 et je l’ai terminé sans rien comprendre. Et le pire, c’est que j’en conserve de très bons souvenirs…).
- Dans Vagrant Story, tout se joue en temps réel, à l’exception des attaques elles-mêmes : lorsqu'on veut porter un coup, l'action ralentit jusqu'à se figer presque, un anneau s'ouvre autour du personnage pour matérialiser la portée du coup en question, les zones de l'ennemi qu'il peut atteindre et les dégâts potentiels infligés. Une fois la zone sélectionnée, on ree en temps réel avec des timing d'attaques à respecter, variant selon les armes et les compétences équipées, les combos pouvant matériellement durer jusqu’à l’infini + 1 si vous avez le sens du rythme et beaucoup de temps devant vous (mais gare au temps de récupération derrière si vous videz la jauge d'endurance de votre personnage et si vous vous loupez ! Le contrecoup sera proportionnel à vos excès, comme au lendemain de vos soirées mousse au macumba).
- Dans les Shadow Hearts, toutes les actions sont conditionnées par l'anneau de jugement, une roue de la fortune améliorée sur laquelle on va stabiliser une aiguille qui permettra, selon la zone où elle s'arrête, d'obtenir une réussite simple, une réussite critique ou un échec cuisant, entraînant l’annulation de l’action entreprise (la répartition des zones différant pour chaque action, bien sûr, sans quoi ce serait trop facile… ). Système d'autant plus ingénieux qu'il s’adapte à chaque type d’altérations d'état avec une cohérence interne rare. Confusion ? Au lieu de tourner de manière régulière, l'aiguille accélère, ralentit, repart dans l'autre sens... Aveuglement ? L'aiguille reste visible mais la roue et ses zones ne sont pas affichées. Etc, etc. Et alors pour le coup, ne vous déplaise, de mon point de vue, ce système surclasse largement celui d'Expedition 33, par son ingéniosité et sa pertinence formelle.
- Dans Bravely Default, le joueur est constamment amené à choisir entre attaquer à son tour ou attendre le suivant, voire celui d’après, pour accumuler les dommages de manière exponentielle. Alors oui, console en main, c’est très nul (en tout cas cela ne m’a-t-il pas séduit, au point que j’ai lâché le jeu à la moitié), parce que beaucoup trop if, mais ça avait au moins le mérite d'exister, contrairement au monstre du Loch Ness.
- Dans Final Fantasy VII Remake/Rebirth, contre toute attente, les développeurs proposent un système hybride réussi (prends-en de la graine, Sho Tucker !) entre jeu d'action en temps réel et tour par tour avec ATB. Système bordélique, j’en conviens, et qui manque cruellement de précision, mais qui n’en constitue pas moins une prise de risque à saluer, car créativement payée de succès. Dans la mesure où c'est à peu près la seule chose à sauver dans ce double naufrage, on ne va pas pinailler.
- Plus conventionnel, Metaphor Refantasio joue quant à lui sur les affinités élémentaires pour octroyer des actions bonus aux personnages ou à leurs ennemis, à quoi s’ajoute une dynamique de prise d'initiative en temps réel similaire à celle d'Expedition 33, même si nettement plus punitive aussi (il faut se lever de bonne heure pour la louper, la prise d’initiative, dans Expedition 33).
- Bon et puis Live Alive, on en parle, de Live Alive ? Le truc dynamitait déjà complètement le genre en mode méta dès 1994 ! Et avec quelle maestria !
Mentionnons également l'EXTRAORDINAIRE Resonance of Fate, Treasure Hunter G, Super Mario RPG, Magna Carta (merci Nixotane), Final Fantasy XII, les Final Fantasy XIII, les SaGa Frontier, les Octopath Traveler…
Tout ça pour dire que si français soit-il, Expedition 33 n'est pas une révolution pour autant, quoi qu’on en dise, et que si efficace soit-il dans sa proposition, il n’est pas plus novateur que ceux qui l’ont précédé. Au fond, il n’est qu’un nom de plus à ajouter à la longue liste de ceux qui ont contribué à faire évoluer le genre (ajoutez-le dans les premiers, si ça vous fait plaisir), ce qui constitue déjà un bel accomplissement en soi, c’est vrai, sauf qu’à trop vouloir encenser le jeu, à trop suivre la tendance et faire dans le jeunisme de mauvaise foi (« du é faisons table rase… »), on manque symboliquement de respect à tous les créateurs qui sont venus avant et en ont fait autant. Parce que quand on jette un coup d’œil par-dessus notre épaule, pour ceux qui ont encore suffisamment de souplesse pour le faire, finalement, ées les années 70-80, les RPG au tour-par-tour classiques, il n'y en a pas tant que ça, ils sont franchement minoritaires, la plupart cantonné à la niche du dungeon crawler (à destination de ses seuls aficionados).
Et puis de vous à moi, c'est quoi, le problème, avec le tour-par-tour classique, quand on y réfléchit ? Le système va à l'essentiel. Il est facile d'accès, logique, fonctionnel. Il transpose de façon convaincante les mécaniques des jeux de rôle sur table et des livres dont vous êtes le héros.
Prenez un Grandia, prenez un Breath of Fire (dont l'épisode V innovait aussi, ce me semble) : même en 2025 ça reste très sympa à jouer (peut-être un peu monotone, et encore...).
Tenez, moi, par exemple, en parallèle d'Expedition 33, je jouais au remaster du premier Lunar, une licence qui m'a beaucoup fait rêver à sa sortie mais à laquelle je n'avais jamais eu l'opportunité de jouer, pur produit des années 90 à la nippone, brut et sans fioritures. Seuls sursauts de modernité : les monstres apparaissent à l'écran, on peut donc essayer de slalomer, et les combats intègrent une notion de déplacement dans l'espace, qui nécessite de tenir compte des distances au moment de choisir sa cible (laquelle sera également amenée à se déplacer, pouvant dès lors foutre en l’air le sort de groupe sur lequel vous fondiez tant d’espoirs !). Sinon, pour le reste, c'est la préhistoire du genre : attaque, défense, magie, objets, fuite, et basta, circulez, y’a rien de plus à voir. Sauf que vous voulez savoir quoi ? Manette en main, c'est suffisant, vraiment. J'en ai été le premier surpris - parce que comme je le disais, les RPG ce n’est plus trop ma came -, mais ça marche et on n'a pas besoin de plus.
Sans mentir, je me suis autant amusé sur Lunar que sur Expedition 33, d'autant qu'ils sont aussi bien écrits l’un que l’autre, dans des registres à l'opposé (relevons ici l’excellent travail de traduction française sur Lunar Remastered. Une fois n’est pas coutume, c’est un régal). Les points d'expérience se répartissent automatiquement, on ne choisit pas les compétences qu’on acquiert, il n'y a pas de personnalisation des personnages possible, hors le choix de l’équipement, ni de personnalisation de l’équipe non plus, tous les personnages étant simultanément présents à l’écran.
Pourtant on est dedans, on se régale, on n'a pas envie de lâcher, les combats sont assez techniques pour représenter un challenge sans que celui-ci ne devienne frustrant, les affrontements de boss peuvent être très tendus, dans le bon sens du terme, et vous pousser dans vos retranchements si vous y allez en touriste, j'en ai fini à l'arrachée en donnant tout ce que j'avais alors que je pensais vraiment être bon pour ramasser mes dents. Ce n'est assurément pas meilleur qu'Expedition 33 et il y a certainement ici un brin de nostalgie qui parle (encore que pas tant que ça. J’appréhendais vraiment), mais j’ai autant apprécié les deux jeux l’un que l’autre.
Lesquels se sont finalement révélés complémentaires, chacun se faisant malgré lui le miroir inversé de l'autre : d'un côté la sobriété, de l'autre une complexité souvent excessive, d'un côté l'optimisme béat, un peu naïf, de ces années 90 où tout semblait possible, porté par un élan d’aventure décomplexée à la Laputa, Ys ou Escaflowne, bourré d'un humour inattendu autant que savoureux (pour quiconque apprécie Pratchett ou Naheulbeuk) ; de l'autre, la grande dépression de la jeunesse actuelle, l'absence d'espoir, le nihilisme poisseux d’un XXIe siècle fracturé, teinté d'Attaque des Titans ou de Walking Dead, associé à une idéalisation un peu lisse de ses protagonistes. Deux époques, deux ambiances, deux univers, avec l’an 2000 pour pivot comme le verre ou la toile dressés entre les deux... et sans doute, oui, que si je n'avais pas eu Lunar en cours au moment où j'ai lancé Expédition 33, j'aurais été plus ébloui par ce dernier, et par conséquent moins critique.
Pour en revenir au tour-par-tour, quand on prend le temps d'y réfléchi, son vrai problème, ce n'est pas le système lui-même, qui tient la route. Non. Le problème, c’est et ça a toujours été les combats aléatoires, lorsqu'ils sont trop intempestifs et mal équilibrés, ce dont on est revenu depuis Final Fantasy VI au moins. Il n'existe en effet pas grand chose de ludiquement plus pénible que de se faire victimiser tous les trois centimètres par des souris ou des gobelins qui nous arrivent au genou.
Un écueil qu’Expedition 33 esquive d’un pas de côté en prenant le parti de rendre les ennemis visibles (ce qui a déjà été fait maintes fois, Lunar n’est qu’un exemple parmi d’autre, on pense également à Chrono Trigger…), et en nombre limité, comme dans un From Software (ce qui pour le coup constitue une vraie nouveauté, bien pensée car en accord avec sa dynamique interne, même si pas justifié par une boucle narrative comme chez ses inspirateurs). En contrepartie, il faut accepter de longs creux de vague où il ne se e rien et où on se contente d’avancer en ligne droite, avec l'absolue certitude qu'« il ne peut plus rien nous arriver d’a-ffreux main-tenant ».
Ce qui nous amène tout naturellement (vous avez vu le skill, un peu, ce n’est pas du pavé de petit Mickey ça, on sent qu’on a affaire à un professionnel) à mon deuxième point problématique : ces fameuses mécaniques modernes, qui ont fonctionné sur moi autant que sur vous, ou presque (quand même. J’ai ma fierté), mais pour des raisons vexatoires. Là encore, n'aurais-je pas joué à Interaction isn't Explicit l'année dernière que je réfléchirais beaucoup moins à ce qu'on me demande de faire dans un jeu vidéo et à pourquoi on me le demande, et je me montrerais par conséquent beaucoup plus indulgent. Seulement avec des « si », on mettrait Lumière en bouteille, n’est-ce pas ? Non parce que je me suis acharné sur Final Fantasy XVI parce qu’il employait les mêmes artifices, je me dois donc d’égratigner un peu Expedition 33 aussi (même si le premier est aussi mauvais que le second est excellent, ce qui lui vaudra d’échapper à mes vicious mockery même si ça me titille), les deux s'appuyant vraisemblablement sur une même conception du game design (parce qu'on l'enseigne en fac, j’imagine ?) :
- D'une, on y cire constamment les pompes du joueur comme une veille d’élection ou dans une réponse de ChatGPT : tout est fait pour nous convaincre qu’on est les plus grands, les plus beaux, les plus forts (ce jeu nous voit avec les yeux d’un labrador) alors qu’en réalité, c’est son mode normal qui est d’une facilité déconcertante (casu, dans toute l’essence du terme), contrairement au mode hard qui a contrario est à conseiller à ceux qui veulent expier les fautes de leurs vies antérieures (ou ceux qui ont trop de temps libre). Ce jeu, en mode Expedition, c’est un circuit de Mario Kart en 50 cc qui tente de te convaincre (et y parvient souvent) que tu joues à Gran Turismo en niveau expert. On se sent fort, en jouant à Expedition 33, on se sent bon, on se sent fin stratège. Alors qu’en réalité, on peut très bien finir le jeu en faisant n’importe quoi. J’ai testé pour vous.
Le skill ? Une simple question d'observation (visuelle et/ou sonore) et de mémoire musculaire (quasi-Pavlovienne, pour le coup).
La stratégie ? Elle n’est pas nécessaire, j’ai tracé la route sans trop m’en occuper, répartissant mes points d’expérience et déverrouillant des compétences au pif, sans exploiter le quart des mécaniques parce que la complexité excessive me gonfle lorsqu'elle n'est pas utile. Je me suis contenté d’esquiver par fainéantise au lieu de parer (ce qui ne m’a pas empêché de réussir le défi de la Danseuse Suprême sans trop d’essais) et j'ai pourtant é les neuf dixièmes de mon temps à rouler sur les ennemis en mode Fury Road, boss compris, aller ET retour, chrome and shiny (sauf, évidemment, quand la différence de niveau était trop importante à mon désavantage). Et malgré tout, même sans farmer, j’ai tombé la Peintresse à mon premier essai, et Renoir au deuxième.
Avec toujours, pour habiller, cette pyrotechnie bling bling et ces chorégraphies à l’esbroufe qui m’ont déjà fait grincer des dents dans Final Fantasy XVI, parce que même si dans le fond, le joueur se contente d’appuyer sur UN bouton, il faut qu’à l’écran le résultat ait l’air grandiose, même si quand tu enchaînes trois esquives sautées tu entends dans ta tête la musique du cirque Barnum à force de les voir faire des saltos stériles, mais synchronisés. Avec toujours, aussi : ces dégâts infligés gonflés aux stéroïdes. Parce que c'est sûr que c'est plus valorisant pour le joueur d'infliger 10000 points de vie de blessure à un adversaire qui en possède un million, que d'infliger 1 point de vie à un adversaire qui en possède cent, même si dans les faits ça revient exactement au même (c'était un peu l'aspect décourageant de Legend of the Dragoon, dans lequel on revêt littéralement des armures de Chevaliers du Zodiaque, tout ça pour culminer à 250 PV de dégâts contre le dernier boss... ça ne fait pas rêver, c’est sûr).
Même constat à la Marseillaise du côté du chroma qu’on trouve ici et là : à quoi bon vous en faire trouver quatre mille, quand la moindre des marchandises en boutique en coûte au minimum 10000 ? Il y a des zéros qui pourraient sauter sans rien y perdre, sauf que psychologiquement, l’effet n’est pas le même non plus. Si demain je vous dis que votre salaire est de cent euros, vous ferez un peu la tronche, même si je vous dis qu’en contrepartie votre loyer tombe à dix euros. C’est psychologique je vous dis. Et c’est calibré pour, bien sûr, ça n’a rien d’anodin, c’est le genre de tour de e-e qu’on hérite du business des jeux sur smartphone et c’est aussi sur ce genre de détails parfaitement calculés que se construit la hype actuelle. Je le répète, ça fonctionne sur moi autant que ça fonctionne sur vous, c'est ce qui m'énerve le plus dans l’histoire, parce que je sais que je suis pris pour un dindon (sans méchanceté aucune, j’en ai conscience aussi) mais que le dindon en moi crie lascivement « oh oui, encore, encore ».
Je suis assez vieux jeu, je n'aime pas qu'on me mente, même si c’est pour me faire plaisir : je sais que je suis un gamer médiocre, que j'ai zéro skill, zéro stratégie, que je ne vivrai jamais de l’Esport. Je sais ce que je vaux. Je n’ai jamais réussi à finir les Tortues Ninjas sur NES. Tous les mensonges d’Expedition 33 ne sauront pas me le faire oublier. Je prends donc assez mal le fait qu’il s'emploie aussi activement à tenter de me convaincre du contraire... "C'est bon, ça va, je ne suis pas débile", ai-je eu envie de lui rétorquer souvent, comme quand on m’a donné mon BAC et que j’ai constaté que toutes mes notes étaient trop hautes de 6 points. J'ai l'impression de retrouver le Kenshiro de Fitness Boxing sur Switch, lequel me donne régulièrement 21 ans d'âge fitness alors que je suis une épave. Mais il se dit qu’en me la jouant Grima langue-de-serpent, j'y reviendrai plus volontiers, et c'est sûr que s'il me traitait de vieille morue défraichie, je serais nettement moins bien disposé à faire ses putains de flexions en rythme.
Appelons un chat un chat, le jeu : si je suis nul, n'essaie pas de me convaincre que je suis génial, comme FFXVI qui colle la parade et l’attaque sur le même bouton de manière à ce que ça e régulièrement sur un malentendu. Je le répète, j'ai ma fierté. Et si tu veux que je devienne bon, oblige-moi à le devenir de façon naturelle, motivante et équilibrée, ne te contente pas de me dire "t'as qu'à er en hard si t’es pas content, mais ne viens pas te plaindre après". Je ne sais pas si vous vous rendez compte mais dans Expedition 33, on en est quand même arrivé à un point d’assistanat où on fait er des attaques gratuites bonus pour des assauts de l’ennemi (je pense aux esquives sautées et aux contres gradient, parce que ça tape fort et qu’il faut vraiment jouer les yeux bandés pour les louper).
- De deux, à l’instar de Final Fantasy XVI toujours (notamment ses combats de Primordiaux, qui ne sont que de looooongues séquences cinématiques agrémentées de quelques QTE minimalistes pour faire genre « mais si, on joue »), on clique pour cliquer. Et ma foi, pourquoi pas, hein, puisque ça marche, tant qu'on ne prend pas du recul et qu’on ne pense pas aux théoriciens de l’addiction qui professent ce genre de préceptes. "Il faut absolument garder le joueur impliqué tout le temps, maintenir un lien entre le jeu et lui, ne pas courir le risque qu’il prenne de la distance, il pourrait s’ennuyer et donc er à autre chose", là encore on est en pleine philosophie gatcha. "Or le lien en question e nécessairement par l'interaction, si minimale soit-elle". Comme quand jadis on vous faisait maintenir une touche enfoncée pendant une dizaine de secondes pour que votre personnage ouvre une porte à double battants, quand il y avait encore des temps de chargement à camoufler derrière ce genre de tours de e-e. Ou quand on vous faisait marteler le bouton X par intermittence pendant les invocations interminables de Final Fantasy VIII, histoire que vous ne vous endormiez pas à la trentième minute d’Orbital. Et d’ailleurs, le récent Cris Tales ne proposait-il pas déjà des mécaniques similaires en matière de parade ?
Le mot d'ordre qu’on devine ici entre les lignes de codes est de ne jamais laisser trop longtemps le joueur sans sollicitations en phases de combat. S'il attaque, il faut qu'il ait des boutons à presser au bon moment, ni trop, ni trop peu, et il faut que le timing ne soit pas trop serré, que les conséquences en cas d’échec ne soient pas trop pénalisantes, sans quoi on court le risque de le perdre. Et quand il subit les attaques, il faut détourner son esprit de la frustration suscitée (car même si c'est la dure loi du tour-par-tour, cette phase place le joueur dans une posture symbolique inconfortable, en cela qu’il est contraint de subir sans réagir, ce qui ne va pas sans son lot de trépignements intérieurs), de manière à l'occuper durant tout l'assaut et à lui donner la possibilité contre-nature de se soustraire à la vindicte ennemie, bien que son tour d’action soit derrière lui (si encore on devait économiser des points d’action en vue de ces esquives/parades, le principe aurait un semblant de sens et nécessiterait un semblant de stratégie, mais là c’est offert, c’est cadeau, ça fait plaisir).
Ainsi le joueur peut-il librement parer, esquiver, sauter, contrer, moyennant là encore un clic au bon moment, avec une marge de validation relativement permissive et la possibilité de recommencer en cas d’échec dès lors qu’on dispose du temps adéquat. Là encore, il faut bien reconnaître que c’est plaisant, que ça tient la route et là encore je suis client, c'est normal, je ne suis pas fait différemment des autres (quoi qu’en dise mon dossier aux affaires non classées). Eh quoi ? Faire du vélo c’est moins stressant quand on laisse les petites roues ! …mais j’en suis profondément agacé parce que le jeu me prend pour ce que je ne suis pas : quelqu'un d'incapable de er deux secondes sans cliquer sur un truc, sans s'occuper les doigts, sans se désinvestir de l’expérience ludique ni laisser dériver son attention vers de plus hystériques activités si on ne le sollicite pas artificiellement à chaque seconde. Je ne suis pas un poisson rouge, moi. Et même : je n’aime pas qu’on me prenne pour un poisson rouge. Je sais que ça n’a rien de personnel, que c’est dans l’air du temps, que l’usage des smartphones et d’internet a rendu ce type de stratagèmes nécessaire, mais je m’afflige qu’on s’en fasse une raison, côté usagers comme côté créateurs, au lieu de faire de la résistance face à ce qui devrait a contrario représenter une réelle source de préoccupation.
Paradoxalement, sur moi, le procédé a même plutôt eu l’effet inverse : sur certains combats longs, lorsque mon niveau était inférieur à celui de mes adversaires, avec des créatures m'attaquant plusieurs fois d’affilée, j’en suis vite arrivé à regarder ma montre et perdre le rythme à trop penser à mes listes de courses, la lassitude ne naissant pas ici de l’absence de stimulations, mais au contraire d’un trop grand nombre de stimulations trop peu gratifiantes, puisqu’en nombre réduit et répétées en boucle sur une trop longue période de temps. Par moments, je me suis vraiment senti comme les ours blancs dans Lost, à qui on apprenait à presser un bouton pour obtenir son biscuit en forme de poisson. Et je peux vous dire que les biscuits en forme de poisson, ça va bien cinq minutes, mais on se prend vite à rêver de mets plus raffinés tels que le homard ou le whopper.
- De trois (et par voie de conséquence), le tour-par-tour y perd tout son sens. Car en dépit des apparences, Expedition 33 n’est pas un jeu au tour-par-tour, dans la mesure où originellement, UN tour est censé correspondre à UNE action, simulant ainsi le temps nécessaire à l’accomplissement de celle-ci. Une sorte de bullet time avant l'heure, pour parler un langage universel. Comme suggéré quelques pages en amont : une transposition automatisée des mécaniques du jeu de rôle sur table dans un cadre numérique. Par voie de conséquence, plus on s'est éloigné de la formule classique et plus on a perdu la chose de vue. Or dans Expedition 33, cette fracture entre le système et ce qu'il est censé représenter ingame n'a jamais été aussi marquée, au point d'en devenir absurde.
En un seul tour de jeu, et donc le temps symbolique d'une action, un personnage peut en effectuer plus d'une vingtaine s'il utilise son attaque gradient, ses tirs, son attaque de base (qu'il peut multiplier par deux, voire par quatre), à quoi s’ajouteront également les contres, les parades, les esquives, les attaques sautées, les contre gradient…
Vous vous imaginez un peu, le calvaire du MJ qui propose une campagne d’Expedition 33 dans son garage ? « Bon alors là, tu tombes sur un monstre qui ressemble à une sculpture de Buren qui bouge, tu fais quoi ? » « Ben j’attaque » « Bon, très bien. Maintenant c’est à son tour » « Ha non non non. Je n’ai pas fini, moi. J’attaque encore. Je peux, j’ai encore des points d’action » « Euuuh, oui mais… » « Et puis tiens, j’attaque encore ! Voilà ! Là c’est son tour, même s’il ne va pas pouvoir faire grand-chose avec ce qui lui reste de vie ! » « Bon ben il attaque aussi, du coup » « Hé ben j’eeeesquive ! » « Mais… euuuh… non… Tu viens d’attaquer. Trois fois. Tu ne peux pas esquiver aussi. Ce n’est plus ton tour » « Tu as raison. Je vais parer, plutôt. Comme ça derrière… JE CONTRE AAATTAQUE ! » « Non, je viens de te dire que ce n’était pas possible, ce n’est plus ton tour et de toute façon tu n’as plus de points d’action » « Ha non mais ça marche pas comme ça, les parades, c’est des actions qui ne comptent pas comme des actions » « Bon ben t’as gagné le combat alors. » « Wééééé, je suis le plus fort ! ». Ce qui est nettement plus sympa que de regarder son perso se faire meuler la tronche par une troupe de gobelins et d’attendre que ça e, ça aussi j’en conviens, ça aussi ça nous brosse dans le sens du poil, Metaphor Refantasio avait joué cette carte-là aussi, à sa manière. Sauf que cette carte, c’est plus du Uno que du tour-par-tour. Le monstre crie « Uno ! », on crie « Contre Uno ! » et paf, on rafle la mise. De sorte que le concept n'a plus de sens ici, réduit à un vague carcan mécanique qui ne correspond à aucune réalité ingame.
Et là c'est à Spoony le Barde que je dois rendre ce qui lui appartient (individu de triste réputation, certes, mais toujours dans mon cœur, dans la mesure où je n’ai jamais trouvé plus drôle et plus brillant que ses analyses, indépendamment de sa personnalité borderline). Car sans ses vidéos sur les Final Fantasy VIII, X et XIII, je serais sûrement moins regardant à ce sujet : aurais-je eu de moi-même le recul de me demander concrètement à quoi ça rimait, dans l'univers du jeu, d’associer une magie à une caractéristique pour augmenter celle-ci ? Comment le personnage s’y prend-il, sous quelle forme, pourquoi, qu’est-ce qui dans le lore a conduit à cette pratique ? Mêmes questions pour nos sacro-saints sphériers, nos crystariums et consorts. Ils font sens dans le cadre d’un jeu vidéo, mais pas dans le cadre du jeu vidéo lui-même. Alors que bon, ok, les materias, on ne sait pas trop comment elles communiquent leurs pouvoirs ni comment elles les ont acquis exactement, mais au moins elles existent dans l’univers du jeu, les personnages peuvent les toucher, leurs équipements sont conçus pour les intégrer, il y a un effort de cohérence de fait entre lore et mécaniques. Même constat pour les Magicites de l’épisode VI.
A l’opposé, dans Expedition 33, on trouve pléthore de ces systèmes ne relevant que du registre ludique, et qui n’ont pas de justification au sein de l’univers que le titre entend mettre en scène. On en trouve trop, même, et à plus forte raison dans la mesure où ils n’ont pas grande incidence sur le déroulement de la partie. Je me suis tapé tout un donjon avec Monoco juste après l’avoir récupéré, avant de réaliser que je n'avais pas réparti ses points d'expérience quand il a intégré l'équipe. Et pourtant à aucun moment dans le donjon je n’ai perçu cet oubli de ma part : il frappait fort, il encaissait bien, que demande le peuple ? Pourtant il se trimballait au niveau zéro. Bien sûr, quand j’ai réparti les points, il a tapé plus fort, il a mieux encaissé, mais vous en connaissez beaucoup, vous, des jeux dans lesquels vous pouvez affronter un boss avec un perso au niveau zéro, sans que ça se remarque ? Outre les traditionnels points d’expérience à répartir, on a les sphériers de compétence, les pictos (qui ont effectivement un équivalent ingame, même si on a dû mal à se le représenter quand le personnage en cumule plusieurs dizaines), la lumina (qui n'a aucun équivalent ingame, et par ailleurs est très mal expliquée. Aurait-on appelé ça « caractéristiques ives » que ça aurait tout de suite été plus clair, mais ça aurait claqué beaucoup moins), la chroma qui sert de monnaie sans qu’on sache trop pourquoi ni sous quelle forme, les objets (dont on se demande bien pourquoi ils sont en nombre si limité, alors que les personnages sont censés avoir monté une expédition pendant un an et peuvent matérialiser des guitares), en plus des compétences de combat propres à chacun et qui sont aussi limpides que quand ton pote fan de Magic depuis trente ans essaie de t'initier à sa ion en sautant des étapes. A chaque nouveau personnage, cette vidéo me revenait en tête, à juste titre : https://www.youtube.com/watch?v=EBIsZlV1jHk.
Or ça aussi, ça me casse l’immersion parce que de la même façon, c'est inutilement compliqué pour finalement pas grand chose : je salue l'effort qui a été fait pour diversifier les techniques, vraiment, c’est irable, c’est inventif, tout ce que vous voulez, mais ce n’est pas utile. Comme je l’ai martelé plus haut, je m’amuse autant sur Lunar. Et puis du point de vue de la cohérence interne, à nouveau, ça me sort du récit, ça me rappelle que ce n'est qu’un jeu, comme si dans un bouquin j’avais en marge les règles de conjugaison des verbes du troisième groupe. Parce que dans la mesure où tous les personnages (ou presque) proviennent du même endroit et appartiennent au même corps expéditionnaire, mais où aucun n'a développé les mêmes compétences ni la même façon de les mettre en œuvre, bien qu’ils aient vraisemblablement suivi le même entraînement, il y a de quoi se poser des questions. A croire qu’au lieu de trouver collégialement la façon la plus efficiente de se battre, de la perfectionner et de s’appliquer à la transmettre de la façon la plus adaptée, tout le monde à Lumière s'est entraîné dans son coin en mode OSEF sans ne se concerter ni partager leurs expériences. Or quand l’enjeu est la survie de tout un peuple, et la mission aussi désespérée, on ne peut pas trop se permettre de telles fantaisies. Alors bien sûr, c’était déjà la même chose dans Final Fantasy VIII, mais ça n’y était pas plus cohérent, et ne ait avec de l’indulgence que parce que les enjeux étaient beaucoup moins élevés (« oh non, je ne vais pas avoir mon examen de SEED, je n’ai pas révisé mon Tyrannosaure ! ». Ha non mais le génie scénaristique de Nojima m’épatera toujours…). Je ne crois pas qu’un jeu dans lequel on se sert d’un chien comme carreau d’arbalète soit objectivement un exemple à suivre. Du coup je n’ai pas arrêté de me poser des questions : tous les membres de l’Expedition 33 avaient-ils chacun leur propre façon d’utiliser la magie, toutes aussi disparates et alambiquées ? Ou bien existe-t-il des grandes tendances dans le milieu du combat magique, voire de grandes maisons façon Poudlard, dont nos protagonistes seraient des représentants opportuns ? Bien sûr, la source d'inspiration principale en la matière, et peut-être bien le précurseur aussi, ce fut Final Fantasy VI, la parenté entre Monoco et Gau est manifeste. Sauf que dans ce dernier, le cadre était plus fantaisiste, et les membres de l’équipe venaient d'horizons différents, avec des parcours de vie assortis (même si, on est d'accord, ça ne justifie en rien qu'on puisse supplexer un train fantôme... et en même temps qu’est-ce que c’est badass !).
Surtout qu’en mode facile comme en normal, au risque de me répéter, cette complexité ne sert pas à grand-chose, juste à laminer davantage ces pauvres monstres qui, de toute façon, se font allègrement fumer comme du saumon de Norvège. En ce qui me concerne, je ne suis pas complètement obtus non plus, j’ai essayé de jouer selon les règles durant les premières heures, mais j’ai vite laissé tomber faute d’y trouver beaucoup d’intérêt. Depuis, ces machins décorent mon écran mais je n'en tiens pas compte, je fais ça à l'ancienne, exactement comme quand on m'invite à jouer à un nouveau jeu de plateau dont les règles font trente pages, je décroche après cinq minutes et j'improvise, parce que je suis là pour jouer, pas pour er l’examen d’entrée à Sciences Po. Sérieusement, je ne sais pas s'il y a des collégiens ou des lycéens qui jouent à Expédition 33 mais franchement, ils feraient mieux d’investir cette belle énergie dans l’apprentissage de leurs leçons, qui ont au moins une chance (si infime soit-elle) de leurs être utiles un jour dans le monde réel, ELLES.
Résultat des courses (et conséquence directe de la facilité du jeu et de l’artificialité de ces mécaniques), je ne monte les stats de mes persos qu'une fois tous les cinq à dix niveaux, généralement quand j’arrive à un boss, « au cas où ». Pareil pour les armes et les compétences, que je n'équipe souvent que par curiosité (quand je les équipe !), et malgré tout, je m’amuse quand même, ça ne m’empêche pas d’apprécier, ça ne fait pas obstacle à ma progression. De sorte que je ne peux pas m’empêcher de me demander « était-ce bien nécessaire ? ». Sans doute la différence s'observe-t-elle en hard, mais comme j'ai une liste de jeux en attente longue comme de la Terre à Ganymède, et que plus on vieillit et plus le temps libre se fait rare, je n'ai pas des heures et des heures à consacrer à l’apprentissage assidu de stratégies ludiques qui n’auront pas d’application hors du cadre (forcément limité dans le temps et l’espace) de ce jeu vidéo, si ionnant soit-il. Déjà que je vais devoir réapprendre tout Lies of P de zéro quand ils vont sortir le DLC (soupir)...
Point numéro 3 (je sais, c’est long, mais à ma décharge le site s’appelle Sens Critique) : la direction artistique. Oh, ça, c'est très joli, on ne peut pas dire le contraire. Pour une si petite équipe, arriver à proposer un jeu visuellement capable de rivaliser avec du AAA, ce n’est pas un mince exploit technique. D’un autre côté, on ne peut pas dire que j'ai vraiment eu de waow effect non plus, ni envie de m’arrêter pour faire une capture d’écran (qui, de toute façon, ne fonctionne pas sur Playstation puisque le jeu e en pause automatiquement). Alors je sais, vous allez me dire que je suis difficile et c'est peut-être le cas, mais autant le projet m’a emballé dès les teasers, autant le point qui me rebutait le plus tenait déjà à ce visuel haut de gamme, mais relativement générique.
On part d’un postulat original, avec des mécaniques originales, un univers original, mais la direction artistique, elle, s’inscrit dans un registre à la mode qui manque par conséquent de personnalité. Aussi la problématique n’est-elle pas propre à Expedition 33, qui ne fait que reprendre (avec brio, répétons-le) des codes esthétiques de son temps ; mais bon sang, une fois de plus, c'est trop chargé, ça dégouline d'effets et de couleurs de partout, ça pousse tous les curseurs au maximum pour en mettre plein la vue et c'est une posture artistique que je comprends, en cela qu’elle est populaire auprès du grand public, pour les mêmes raisons que celui-ci persiste à aller voir des films Marvel au cinéma, mais pour ma part, je n'adhère pas. Comme si un autre monde devait forcément ressembler à une fête foraine ou à une salle d’arcade à Shibuya pour être étiqueté en tant que tel, au mépris de toute cohérence. Je préfère largement quelque chose de plus sobre voire de plus austère, à la Fumito Ueda, qui permet justement de susciter l’émerveillement lorsqu’on s’avise de casser cette sobriété par des effets architecturaux ou de particules (ce qu’auraient pu être Forespoken ou Khazan, s’ils n’avaient pas pêché par l’excès inverse).
D'autant qu'ici, la peinture est au cœur de l'aventure, on aurait été en droit d’attendre une direction artistique qui s’en inspire - et c'est effectivement ce que je me suis dit pour justifier ce grand étalage de couleurs : que c'était un monde de pigments, mais à l’abandon, hors contrôle, où les teintes s’associent au hasard des vents plutôt qu’au gré des impulsions d’un artiste invisible. Ce qui n’empêche pas que j'aurais préféré quelque chose de moins photoréaliste et de plus esthétisant, de plus marqué par l’identité artistique du récit, infusé des grandes œuvres et des techniques qui ont forgé l’histoire de la peinture, de plus en plus stylisé à mesure qu'on approcherait du Monolithe (oui, ça vendrait la mèche, certes, mais enfin, on comprend quand même assez vite qu'on est dans un univers fictif, pas besoin d'attendre que Machin annonce à Sciel qu'elle n'est pas réelle, les décors seuls suffisent, on voit bien qu'ils sont tous calqués sur Lumière) ou rien que quelques traces de coups de pinceau, çà et là, un crayonné préparatoire qui n’aurait pas été complètement gommé, les possibilités étaient innombrables, un peu comme ce qu'on pouvait voir jadis dans El Shaddai. J'ai été beaucoup plus impressionné par la DA quasi-monochrome de Bleak Faith (avant sa mise à jour) que par celle d'Expedition 33 qui, à trop jouer la carte du grandiose et de la surenchère, finit par en faire une norme, et donc quelque chose de commun, de normal, qui ne surprend pas. A tel point que parfois, je prenais un temps pour imaginer tel ou tel décor en bichromie, à la façon du Batman de Telltale (mais en plus réfléchi), et je pense qu’aussi radical que soit le parti pris, j'y aurai trouvé davantage mon compte.
La limite de caractères Sens Critique étant atteinte, la suite, ce sera en commentaire. On y parlera notamment de la musique, de l'écriture, du contenu annexe et des aspects plus polémiques, pour conclure sur les proportions démesurées de son succès. Courage, amis explorateurs, vous avez lu dix pages, vous n'êtes plus à sept près. Si ?! Attention avant de répondre ! Esquié vous regarde et vous juge !
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mon année 2025 en jeux vidéo
Créée
le 23 mai 2025
Modifiée
le 23 mai 2025
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