Il y a, dans The Mirror, quelque chose comme un point d’origine. Un foyer autour duquel se cristallise déjà toute l’œuvre future de Mike Flanagan. The Mirror ou Oculus, titre original plus sec, est un film sur l’horreur de ne pas pouvoir savoir. Non pas de ne pas comprendre, mais de ne pas pouvoir certifier que ce qu’on perçoit est bien réel.
Il y a dans sa mise en scène une manière très particulière de traiter la mémoire. Les flashbacks ne sont pas ici des retours en arrière mais un é qui se greffe au présent jusqu’à le pervertir. L’enfance revient, mais elle ne revient pas comme souvenir : elle revient comme contamination. Elle réapparaît dans les gestes, les lieux, les mots dits aujourd’hui, comme si le temps n’était plus une ligne mais une nappe, un tissu qu’on plie, qu’on froisse, où les plis ne se distinguent plus. Et ce geste de montage, Flanagan l'effectue avec rigueur. Tout s’enchaîne, tout se confond. Le é devient la matière même du présent.
Mais plus encore que la mémoire, c’est la perception qui se dérègle. Les personnages ne savent plus ce qu’ils voient, ni même s’ils voient. L’œil devient une interface instable, corrompue. On ne sait plus si ce qu’on touche est là, si ce qu’on mange est réel, si ce qu’on détruit peut l’être. Et le film en tire une angoisse : l’horreur vient ici de la perte de tout critère. Ce que filme Flanagan, c’est le vertige cognitif.
Et dans cette maison, Kaylie se dresse comme celle qui veut prouver. Elle veut démontrer que le miroir est le foyer du mal, elle veut des preuves, des vidéos, des mesures. Mais elle se heurte à ce que Flanagan met méthodiquement en place : l’effacement des critères de preuve. Tout ce qui pourrait attester de la réalité du traumatisme est contaminé par l’objet même de ce traumatisme. Il n’y a pas d’extériorité possible. Ce miroir, c’est aussi celui de la société qui refuse d’entendre, de croire, d’ettre, un miroir comme allégorie de l’impossibilité de témoigner.
Alors bien sûr, il y a des limites. Des moments où le film verbalise trop, où Kaylie devient presque une porte-parole de son auteur, où l’on sent que Flanagan cherche à expliquer ce que le dispositif aurait pu laisser affleurer. Ces instants, plus démonstratifs, affaiblissent la puissance d’abstraction que le film parvient ailleurs à maintenir. Et l’émotion, aussi, reste souvent contenue, encadrée, plus mentale que viscérale. On pense, on interroge, on ne tremble pas toujours.