Il y a dans Before I Wake quelque chose qui refuse de se fixer, de s’ancrer, de s’achever. Un rêve d’enfant, peut-être, mais un rêve blessé. C’est un film en lévitation, entre plusieurs régimes de réalité, entre l’horreur douce et le drame endeuillé, entre le conte et les sciences. Il y a là une hésitation, mais aussi une promesse. Une promesse tenue à moitié.
Car Before I Wake n’est pas un film central dans la filmographie de Mike Flanagan. Tourné juste après Oculus mais gelé en postproduction par des problèmes de distribution, puis sorti discrètement dans l’indifférence, ce film semble lui-même hanté par son propre sort : invisible, orphelin. Il fait pourtant le lien entre les premières expérimentations horrifiques de Flanagan et les œuvres plus vastes, plus maîtrisées, que seront The Haunting of Hill House ou Doctor Sleep.
Mais l’ambiguïté ne suffit pas. Elle doit être tenue. Et c’est peut-être ce que le film peine à faire : habiter vraiment sa propre incertitude. Il y a là un imaginaire somptueux : ces papillons, ces projections mentales qui deviennent réelles, cette maison-cocon où les émotions se matérialisent mais aussi une forme de refus de l’étrangeté pure, une tentation de la moralité douce. Le film veut tout : l’onirisme, l’angoisse, la tendresse, l’analyse du deuil. Il veut consoler autant qu’il veut inquiéter. Et c’est précisément ce qui le fragilise.
Car Before I Wake part d’une idée vertigineuse : un enfant dont les rêves deviennent réels. Mais Flanagan, fidèle à sa sensibilité, ne transforme pas cela en mécanisme de terreur. Il l’utilise comme un prisme affectif, un langage du manque, un outil de projection. Cody, l’enfant rêveur, génère ses propres chimères par ses souvenirs et ses absences. Le Canker Man n’est pas l’ennemi : c’est le deuil incarné, la douleur enfantine qui n’a pas de mots et se sculpte en monstre. Ce qui hante, ici, ce n’est pas le fantôme d’un mort, mais l’incapacité à accepter l’absence.
La maison, chez Flanagan, est toujours une architecture psychique. Lieu de développement affectif, mais aussi de fixation morbide. On y projette ses désirs, ses blessures, ses souvenirs recomposés. Le rêve est une scène, et le film en devient l’extension naturelle. Il y a toujours chez Flanagan cette ambivalence de l’image : elle révèle, mais elle enferme.
Et pourtant, Before I Wake finit par renoncer. Il s’explique. Il verbalise. Il soulage. Il croit devoir tout résoudre. Il conclut. Il rassure. On sort du film comme on sort d’une séance de thérapie. C’est un choix. Mais un choix timide. Un choix qui trahit la puissance du point de départ. L’onirisme devient parabole. Le malaise devient message. Et le film, qui avait tout pour rester en suspens, finit par retomber.
Alors oui, c’est un film de transition. Un film qui cherche. Qui hésite. Qui tente. Et c’est pour cela qu’il est à la fois frustrant et attachant. Il annonce sans accomplir. C’est un film qui rêve d’être grand, mais reste à l’état de mirage.
Et pourtant, on y repense. À ces papillons. À cette chambre. À cet enfant qui rêve pour faire revenir sa mère. On y repense parce que Flanagan, même dans ses films les plus faibles, sait où ça fait mal. Il sait que le monstre est toujours une forme d’amour inversé. Et que l’horreur la plus insidieuse, c’est celle de devoir vivre avec ses douleurs.