Little Jaffna pourrait être un film saisissant la complexité d’une communauté Tamoule, dans un contexte qui interroge le caractère de ce qui unit les membres de la communauté, entre lutte de libération et terrorisme, entre racket et impôt révolutionnaire, entre solidarité et patriarcat étouffant… Du reste, Little Jaffna ne choisit pas entre ces extrêmes mais les donne à voir en montrant aussi comment des nuances ou des compromis se font jour, exemplairement quand l’amour entre deux personnes que les familles ne veulent pas voir s’unir joue des frontières entre communautés et entre valeurs. Cette forme d’objectivité ne doit rien à une mollesse de la position du réalisateur, les écrans d’intertitres au début et à la fin du film rappelant l’entreprise génocidaire du gouvernement sri-lankais contre les Tamouls.
Ce pourrait être aussi un film sur le travail d’infiltration d’un policier d’origine tamoule et sur la double contrainte que représentent sa fidélité à son désir d’intégration en et son identité tamoule qui ne disparait pas toujours complètement, ce que le film suggère assez habilement. Même si rien n’est montré du réel travail d’infiltration, à part quelques scènes alibi qui semblent n’avoir pour cause qu’une volonté de rendre vraisemblable le scénario, au moins ce conflit de loyauté est identifiable entre les lignes, particulièrement dans les interrogatoires, celui que ses supérieurs lui font subir avant de lui confier son rôle d’espion et celui du chef du clan, à la toute fin de l’histoire.
Tous les ingrédients pour un grand film sont donc là, avec en plus une photographie impressionnante et des acteurs de talent, particulièrement Lawrence Valin, son réalisateur, qui joue le rôle principal, et Vela Ramamoorthy, le patriarche-parrain.
Mais voilà : une musique qui, certes bonne en soi, surligne jusqu’au grotesque le contenu des scènes ; des ralentis interminables, des plans de coupe avec vols d’oiseaux ou flashbacks, des plongées-contreplongées, des ruptures incessantes de rythme et/ou d’atmosphère, saturent l’écran d’effets assez grossiers… Cela donne finalement un film dont le propos essentiel apparait être la mise en scène complaisante de la violence et de la domination d’une minorité (mâle et testostéronée) sur une communauté. Certes, le film ne se cache pas de fonctionner comme un thriller : et pourquoi pas ! Mais il n’est au bout du compte que cela, noyant la subtilité qu’il montre par endroit dans un déluge d’effets, et engloutissant la tragédie de ce qui se joue dans une forme qui pourrait convenir à n’importe quelle bagarre de quartier.